Madrid, 1965. L'homme par qui l'étrange arrive s'appelle Fernando Sesma. La tête pleine de mystères, il va son chemin d'occultiste dans cette Espagne franquiste qui résonne encore des atrocités de la guerre civile. Le "professeur", comme on le surnomme dans les cercles du paranormal madrilènes, vient de publier Moi, le confident des hommes de l'espace. Le personnage s'ennorgueillit en effet de divers "contacts extraterrestres". C'est par téléphone que Fernando Sesma reçoit ses messages cosmiques. Le petit employé des Télégraphes s'est fait chroniqueur et tient registre des messages de l'ailleurs. Tout cela pourrait prêter à sourire. Pourtant, en ce mois de décembre 1965, va débuter un contact dont Ferando Sesma est loin de soupçonner les prolongements.
LETTRES D'UMMO
Le temps d'une sonnerie de téléphone et, à l'autre bout de la ligne, une voix au timbre électronique annonce tout de go son origine extraterrestre. "Ummo", tel est le nom de la planète dont serait descendu sur Terre un corps expéditionnaire... "ummite" comme il se doit ! Rien que de très ordinaire pour Fernando Sesma.
Dès janvier 1966, il expose le contenu des messages ummites lors de réunions organisées au sous-sol du Café Lyon de Madrid, dans la salle dite de "la baleine joyeuse". Fernando Sesma a les preuves en main ; les Ummites le gratifient à présent de lettres dactylographiées, frappées d'un étrange cachet à l'encre violette : )+(. L'emblème d'UMMOAELEWE, le "gouvernement central d'Ummo".
A en croire les Ummites, c'est le 28 mars 1950 que 3 de leurs vaisseaux ont atterri pour la première fois. Cela en France, dans les Basses-Alpes, au Pic du Cheval Blanc précisément. Très vite, ce sont des dizaines d'amateurs de mystère qui se pressent aux réunions du Café Lyon pour y confronter leurs impressions. Il y a là des ingénieurs, une secrétaire, des écrivains... On parle bientôt du "Groupe de Madrid", qui deviendra plus tard l'association Eridani. Bientôt, la plupart des membres recevront à leur tour les fameux courriers. "L'ummitomanie" était née.
LE GROUPE DE MADRID
Sans cesse, les Ummites vont créer l'événement au sein du groupe de Madrid. Comme en 1967, quand un courrier annonce le prochain atterrissage d'un vaisseau d'Ummo près de Madrid. Il se produira effectivement à San José de Valderas, près de la capitale, dans la fourchette des dates indiquées... Au début des années 1970, l'affaire prend des allures de polar. Les Ummites annoncent qu'un agent de la CIA est chargé de surveiller le Groupe. Ummo joint à son envoi deux papiers d'identité censés correspondre à l'espion.
En 1974, à la faveur du conflit israélo-arabe, les Ummites s'inquiètent des risques potentiels de conflit nucléaire et donnent leurs instructions au cas où la guerre viendrait à éclater. En 1988, manifestant cette fois des préoccupations d'ordre spirituel, ils prient leurs interlocuteur de bien vouloir organiser dans la capitale espagnole un congrès public sur le problème du Saint Suaire de Turin, la relique contestée qui aurait servi de linceul au Christ.
LEÇONS DE CHOSES
Une trentaine d'années après le début de l'affaire, ce qui de prime abord pouvait ressembler à une farce est devenu l'une des plus grandes énigmes de l'ufologie. Pendant un quart de siècle, Fernando Sesma et bien d'autres Espagnols recevront, par milliers, des pages signées Ummo, parfois postées des antipodes ! Une manne céleste dont le "professeur", aujourd'hui décédé, s'était rapidement désintéressé. Et pour cause. Les communications ummites n'ont rien à voir avec les banales affaires de contacts extraterrestres qui faisaient la joie de Sesma. On est loin aussi des "vénusiens" de l'Américain George Adamski ; ici, les messages sont froids, précis et dénudés de messianisme. Dans leurs missives, les Ummites dissertent sur leur civilisation et l'univers en général.
Dans l'une de leurs premières lettres expédiées à Fernando Sesma par exemple, ils décrivent en détail la technique utilisée pour arriver sur Terre. Pour eux, le cosmos serait un "continuum espace-temps déca dimensionnel, courbé en son ensemble et en formant une hyper sphère inverse, c'est à dire avec deux rayons de même longueur mais inverses". Jouant de ce qu'il faut bien appeler un univers parallèle, les Ummites affirmaient ainsi pouvoir raccourcir considérablement les distances, et donc la durée de leurs voyages spatiaux.
Cette évocation des univers gémellaires, qui n'est pas sans rappeler les travaux de l'astrophysicien russe Anfreï Sakharov, fit beaucoup pour la crédibilité des courriers ummites. Le physicien français Jean Pierre Petit, destinataire de missives extraterrestres et auteur du livre Enquête sur des extraterrestres qui sont déjà parmi nous, affirma ainsi que bon nombre de ses propres travaux lui avaient été inspiré par les savants extraterrestres.
AU PAYS D'UTOPIE
En marge des informations purement scientifiques, les Ummites ont aussi fourni à leurs correspondants une description quasi exhaustive de leur civilisation. La planète Ummo serait régie par un "gouvernement unifié" qui présiderait aux destinées d'une société planétaire, où l'individu n'aurait d'autre choix que de se fondre en sacrifiant tout individualisme.
Mais plus que la science, c'est un terrifiant pragmatisme rationnel qui dominerait la société ummite. La gestion de la planète serait informatisée, permettant ainsi un sévère contrôle de toute la production des biens. Sur Ummo, on assurerait la prise en charge de l'éducation des enfants dès 13 ans, tout comme serait assurée l'élimination des déviants, considérés comme malades incurables. On ne s'étonnera donc pas que l'oisiveté, synonyme de parasitisme, y soit formellement prohibée. Ce modèle social serait l'héritage d'une révolution qui aurait mis fin au règne d'un dictateur de sexe féminin.
Il faut aussi évoquer l'alphabet ummite qui nous est connu grâce aux signes manuscrits trouvés sur divers courriers en guise de signature. Une "écriture" qui tient à la fois des hiéroglyphes égyptiens et des idéogrammes chinois. Mais ici, le doute commença à s'insinuer ; des linguistes démontrèrent que l'écriture n'était pas authentique (voir l'article). Des doutes encore argumentés par l'analyse de la géographie d'Ummo. A l'une de leurs lettres en effet, les Ummites avaient joint un planisphère de leur planète dessiné avec soin. On y remarquait de nombreuses chaînes montagneuses. Pourtant, ils avaient affirmé, dans un autre courrier, que le phénomène de la tectonique des plaques - à l'origine de la dérive des continents et de la formation des montagnes - n'existait pas sur Ummo... allégations qui semblent pour le moins contradictoires, comme le fit remarquer l'ufologue Dominique Caudron.
En matière d'astronomie aussi, les courriers ummites recelaient une anomalie de taille. En 1965, le soleil d'Ummo avait été décrit par ses habitants comme l'étoile connue des Terriens sous le nom de "Wolf 424". Des années plus tard, les astrophysiciens découvrirent que Wolf 424 était en réalité une étoile double. Les Ummites ne signalaient pourtant dans leur ciel qu'un seul soleil, et non pas deux. Étrange lacune.
L'ART D'AVOIR RÉPONSE A TOUT
Mais ces incohérences répétées n'étaient pas faites pour gêner les ummites. Face à leurs contradicteurs, ils affirmèrent qu'ils avaient glissé volontairement de ci de là des informations erronées dans la correspondance qu'ils entretenaient avec les Terriens. Leur but : pouvoir à tout moment s'autodiscréditer si l'affaire venait à échapper à leur contrôle.
Car s'il est un trait de caractère très évident des Ummites, c'est bien la discrétion. "Ne nous croyez pas" ou "Ne diffusez pas nos courriers" sont autant de mises en garde adressées par les Ummites à leurs correspondants. Ceux-ci en conclurent qu'Ummo ne voulait pas se retrouver dans la position des conquistadores découvrant puis soumettant l'Amérique du Sud, Pacifiques, les Ummites. Ils nous étudieraient tranquillement, sans jamais se dévoiler, mais tout en diffusant une infime partie de leur savoir à quelques personnalités triées sur le volet. Une attitude agaçante mais, à les en croire, parfaitement logique.
LES MAÎTRES DE LA MANIPULATION
Pour d'autres analystes cependant, les Ummites joueraient double jeu. En choisissant comme destinataires des ufologues, des écrivains ou des journalistes, leur but aurait bien été, malgré leurs dénégations, de se faire connaître du plus grand nombre. Force est de constater que le résultat a été obtenu, l'affaire Ummo ayant été popularisée par les médias dans au moins une dizaine de pays à travers le monde et ayant touché par la même des millions de personnes.
Le journaliste Renaud Marhic estime que ce double jeu pourrait relever d'une vaste manipulation d'opinion : les informations à caractère politique, contenues dans les courriers ummites, trahirent longtemps des sympathies pour l'ex URSS ainsi qu'une aversion pour l'Espagne franquiste où apparut d'abord l'affaire. Dans cette hypothèse, les grandes dissertations scientifiques n'auraient été qu'un enrobage du réel message, politique celui-là. Une technique classique de manipulation. Cette interprétation se vit confortée par les aveux de José Luis Jordan Peña, un Espagnol de gauche qui affirme aujourd'hui être l'auteur des lettres d'Ummo (voir l'article).
Par le passé, l'affaire Ummo a déjà connu des ralentissements. Ce fut le cas à la mort du général Franco, en 1975, ce qui pourrait confirmer l'hypothèse de la manipulation politique. L'envoi des lettres reprit néanmoins quelque temps plus tard. Mais depuis les aveux de José Luis Jordan Paña en 1993, le filon s'est presque complètement tari. "Faux !" répondent certains destinataires qui affirment avoir encore reçu des courriers ummites après cette date. Pour eux, les très discrets Ummites se réjouiraient même de la phase de tranquillité dans laquelle les ont fait entrer les aveux - téléguidés par Ummo ? - de Peña.
UNE AFFAIRE INTERMINABLE
En fait, il est probable que les courriers ummites continueront longtemps encore à circuler. Mais la question est aujourd'hui de savoir si ces lettres ont quelque chose à voir avec la correspondance des origines. N'importe qui a pu récupérer l'affaire à son profit et endosser un masque extraterrestre à bon compte. La prudence est donc de mise. Jean-Pierre Petit lui-même a dénoncé certaines sectes agissant en ce sens. Pour avoir continuellement avancé masqués, les Ummites ont réussi à faire de leurs disciples des sceptiques. Un résultat paradoxal... mais bien dans l'esprit ummites !
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Révision : 07 mai 2003